Trois p'tits tours et puis s'en vont ; libre

Mr. Everyone semblait tourner en rond dans la neige, piétinant le sol avec nervosité. Sa robe luisait d'écume et il ne faisait que ronfler, et ronfler encore, tout en gigotant comme il le pouvait.
Face à un arbre, il s'était malencontreusement coincé un antérieur dans des racines camouflées par la poudreuse blanche. Pris au piège, et ne pouvant s'en défaire seul, Mr. Everyone n'avait pas d'autres possibilités que d'attendre ou de tenter de bouger la racine avec la force de ses mouvements... ce qui était bien sûr peine perdue.

Mais Everyone n'aimait pas se sentir coincé comme cela. Ça le rendait nerveux, et il était nerveux d'être nerveux. D'autant plus qu'il savait qu'il allait avoir besoin de l'aide d'un de ses congénères, et que cette idée ne l'enchantait pas vraiment. Mr. Everyone redoutait les rencontres avec les siens. Il se sentait toujours jugé et observé dans les moindres détails, et ça le mettait tellement mal à l'aise (plus que ce qu'il ne l'était déjà face à un autre cheval) qu'il commettait des erreurs comportementales, qui selon lui, lui étaient fatales.

Mais piégé ainsi, il n'avait pas le choix.

Neige, neige.
Egon ne se souvenait plus de la dernière fois où il s'était aventuré dans les neiges immaculées de la Taïga.
Le froid ne le gênait pas, il ne le sentait qu'à peine.
Sa carapace le rendait un peu athermique.

Mais n'ayant connu que cela, il ne le sait pas.
La neige l'amuse, il enfonce ses sabots dans toute cette perfection.
Puis il entend un bruit.

Un animal qui semble se débattre.
Ronflements, cheval.
Qui a l'air contrarié qui plus est.

L'étalon brun s'avance silencieusement, tentant d'apercevoir entre les arbres ce que fabrique son congénère.

Mr. Everyone n'a pas froid lui non plus. Il est originaire de la Taïga, il a toujours vécu ici. Le froid, il ne le sent plus.

Là, un bruissement dans la neige, un crissement ! Quelqu'un approche. Qui est-ce ? Comment est-il ? Panique. Everyone ne sait quelle forme prendre, quelle robe, ou même quelle sexe. Est-ce que l'autre accepterait de l'aider, sans qu'il use de son pouvoir ? Est-ce que l'autre ne se moquera pas de lui ? Everyone ronfle d'inquiétude et de nervosité. Il piétine et piaffe, ne sachant que faire, le regard fixé et les oreilles pointées vers le bruit. Une tâche sombre se détache dans la neige.

Everyone a une robe peu facilement repérable dans le blanc du paysage. Peut être aura t-il le temps de se changer en jument avant que l'autre ne le remarque... Aïe ! Il pousse un couinement. A force de gigoter, la racine pince maintenant la peau de son antérieur.
Effrayé par son propre bruit, Everyone s'immobilise. L'autre l'a t-il entendu ?

Au couinement inattendu, Egon couche ses oreilles, surpris.
Bon, visiblement, ce cheval a l'air dans le pétrin.
Toujours décidé à aider, l'étalon annonce sa venue d'un hennissement étouffé et se rapproche.

Il ne distingue pas tout de suite l'étalon, sa robe se fondant parfaitement avec les troncs blanchis.
Enfin, il remarque la neige piétiné tout autour d'un arbre et le cheval pris au piège, immobile, l'air paniqué.
Egon s'arrête à quelques mètres.

« Coincé ? »

Un faible hennissement... Oh non... L'autre se rapproche.

Everyone ronfle bruyamment. Il se sent nu. Mis à nu. Il se sent faible, si faible. Sans défense. Un étalon brun se trouve maintenant à quelques mètres de lui. Le crémeux se contracte. Que faire ?

Soudain, l'inconnu parle. Un seul mot sort de sa bouche. Everyone se sent jugé, détaillé sous toutes les coutures, passé au peigne fin. Ce seul mot le met en pièces. L'autre doit le trouver idiot, imbécile. Il doit le détester, déjà. Il frémit.

- Oui.

Que pouvait-il répondre d'autre ?

Cet autre là semble bien nerveux.
Egon s'approche lentement pour ne pas avoir l'air menaçant.
Enfin arrivé à la hauteur de l'étalon, qui semble vraiment très mal à l'aise, le brun peut voir ce qu'il en est.
Son pied est coincé entre deux souches, durcies par le froid et encombrées de neige.

Egon lève les yeux vers l'étalon, et d'une voix calme, lui dit simplement :

« Je t'aide. »

N'attendant pas de réponse, il baisse lentement l'encolure et dégage le peu de neige qui reste.
Enfin, il choisit une des deux racines et prend appui dessus de manière à l'écarter du sabot piégé.

Mr. Everyone se contracta, à l'approche du brun, malgré son attitude lente et basse. Il ne connaissait pas ce cheval, ne l'avait jamais vu auparavant, et ne savait pas ce qu'il lui voulait. Jouait-il la comédie pour le piéger ?
Une voix grave retentit alors à ses oreilles, bien que se voulant calme. Everyone serra les dents, les faisant presque grincer. L'autre abaissa son encolure, touchant les racines qui emprisonnaient le sabot d'Everyone. Les oreilles du crémeux se pointèrent vers sa croupe.

Enfin, il sentit la pression des racines disparaître. Il n'attendit pas une seconde de plus pour se dégager rapidement, s'écartant vivement de l'arbre auprès duquel il était resté durant une heure au moins.
Encore nerveux, surtout à cause de la présence du brun, Everyone ne put se tenir totalement immobile. Il tanguait de gauche à droite et regardait de ci de là. Pourtant, durant à peine quelques instants, son regard croisa celui de l'inconnu, alors qu'un "Merci", s'échappa d'entre ses lèvres.

Et puis, il resta là, à tanguer et à piétiner le sol sur place, ne sachant que faire ou que dire face à son congénère.
La plupart du temps, Everyone passait au moins deux semaines à observer un cheval avant de l'aborder. Les rencontres de ce genre, avec ce brun puissant, finissaient souvent mal pour lui.

Egon restait immobile, le tête basse, observant le crème par en dessous.
Il n'arrivait pas à décider si c'était lui qui causait cette embarras ou si l'étalon avait un autre problème.
Il ne réagit pas à son merci, se contentant de le dévisager silencieusement.

L'attitude étrange de l'étalon le rendait lui même nerveux.
Aussi restait il figé, sans trop savoir pourquoi, comme si au moindre mouvement, l'autre allait s'enfuir à toutes jambes et trébucher sur de nouvelles racines.
Egon attendait. Mais quoi ?

L'autre attendait. Et Mr. Everyone attendait aussi. Il ne savait pas quoi, lui non plus. Peut être un mouvement de l'autre, une parole, un son, n'importe quoi qui lui dirait quoi faire. Parce qu'il fallait que l'autre "fonctionne" pour que Mr. Everyone lise dans son "manuel" quoi faire. Sinon, il se retrouvait comme un élève de collège devant une fonction racine carrée à dériver. Oui, il dérivait, et pas dans le sens mathématique.

Et Everyone ressentait la nervosité de l'autre cheval, et cela le rendait encore plus nerveux, et gêné qui plus est, car il savait que c'était à cause de lui que le brun ressentait de la nervosité.
Mais petit à petit, il s'immobilisa. Non pas que son stress avait disparu, bien au contraire. Mais il était tellement intense que Mr. Everyone se figeait, les muscles tendus, prêt à décocher une parole ou un mouvement dès que l'autre parlerait ou bougerait. Il ne saurait quoi dire, il ne saurait quoi faire, il le savait aussi, alors il dirait n'importe quoi et ferait surement n'importe quoi aussi.

Et il attendait encore, donc.

Bon ils n'allaient pas y passer la nuit.
Visiblement, cet énergumène là n'appréciait pas sa compagnie.

Egon cligna lentement des yeux, se redressa légèrement et se mit doucement en marche, s'éloignant du crème.
Il finit par lui tourner le dos.
Ça serait sans doute mieux comme ainsi, le brun avait perdu depuis longtemps l'envie de terroriser ses pairs.

Un mouvement devant lui, Everyone se tendit, prêt à réagir. Et pourtant rien ne vint. L'autre lui tournait le dos à présent. Et ce fut la fin pour le crème.

Qu'avait-il fait ? Avait-il fait quelque chose de mal ? D'embêtant, de dégoutant ? L'autre lui en voulait-il pour quoi que se soit ? Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui ? Qu'est-ce qui n'allait pas avec lui ? Rien et tout. C'était les seules réponses à toutes ces questions. Il n'avait rien fait, et c'était bien ça le problème. Le problème, c'était lui, tout, lui entièrement. Le gros problème, oui, c'était lui.

Il tressaillit, perdit l'équilibre, se reprit pour chavirer de nouveau. Que faire, mais que faire... Et l'autre s'éloignait lentement de lui. Everyone ronfla, émit quelques syllabes, incapable de formuler une phrase correcte, tellement il craignait la réaction du brun. Que penserait-il de lui à présent ? Lui qui était resté figé face à cet étranger, sans bouger ni parler, et qui maintenant, désirait qu'il reste ? Le crème serra les dents. C'était toujours pareil. Et soudain, Everyone devint quelqu'un d'autre. Le Caméléon reprenait le dessus.

- Je suis désolé de vous ennuyer ainsi...

[Pardon pour le temps de réponse, je suis pas mal prise avec les cours :3]

Egon s'éloignait à pas lent, dans l'intention de redescendre vers les prairies du Lernayin.
Mais la voix de l'autre retentit derrière lui.
L'étalon s'arrêta, tourna la tête et dévisagea celui qu'il avait libéré de l'arbre.
Ce revirement le surprenait quelque peu, il se serait plus attendu à ce que l'autre se carapate.
Il le scruta un moment, silencieusement, avant de répondre simplement, de sa voix basse :

« Pourquoi ? »

- Cela fait longtemps que je n'ai pas eu à faire avec un de mes congénères.

Mr. Everyone avait répondu en toute franchise finalement. Et même s'il adoptait à présent les allures et attitudes d'un cheval sûr de lui et bien dans sa peau, ses paroles étaient véridiques. Cela faisait pas mal de temps qu'il n'avait osé converser avec un autre cheval. Le crémeux était mal à l'aise. Il n'avait pas eu le temps de changer d'apparence, lorsque le brun était arrivé. Everyone ne savait pas sur quel pied danser. Jouer franc jeu et se dévoiler, ou bien, en parfait comédien, incarner un rôle qui n'était pas le sien et qui pourtant, lui allait si bien ?
Alors que ses méninges travaillent à vive allure, il lui parut bon d'entamer la discussion.

- Quel est votre nom ?

Mais Everyone se rendit vite compte qu'il avait fait un faux pas. Et lui, quel nom allait-il donner ? Il n'en avait pas, personne ne lui en avait donner à sa naissance... A chaque rencontre, sous une autre apparence, il jouait un autre nom aussi. Mais là, que faire ? Comment s'appeler ? Tout d'un coup, le crémeux se sentit désarmé. Il tressaillit.

Egon était perplexe.
Ce soudain revirement de comportement le rendait méfiant.
Peut être était ce là le pouvoir de l'autre : un dédoublement de personnalité ?
C'est vrai qu'ils étaient dans la Taïga,Egon avait entendu dire que ces chevaux avait les capacités les plus étranges.
Smutek en était un bon exemple d'ailleurs.

L'étalon ne bougeait pas, s'attendant à tout moment à voir reparaître l'étalon paniqué.
A sa question, il redressa l'encolure.
Son nom ?
N'était il pas plus séant de donner le sien pour poser indirectement cette question ?
L'étalon brun mit le temps, mais il répondit tout de même de sa voix grave et basse.

« Egon. »

Après tout, ce n'était pas un secret.
Il n'ajouta rien, préférant attendre quelle serait l'attitude suivante du crème.

Le soulagement dans la tête de Everyone. Il offrit même un large sourire au dénommé Egon, puisque tel était son nom, sans raison apparente. Mais pour lui, c'était vraiment un miracle que l'étalon ne lui ait pas encore demandé son nom. Un énorme poids s'envolait de ses épaules. Il se détendit.

- Enchanté, Egon.

Mais le crémeux ne désirait pas laisser le temps à l'autre de le remettre dans une situation embarrassante, quand bien même il ne le savait pas. Alors, il chercha très vite un autre sujet de conversation, et débita en quelques secondes :

- Vous n'êtes pas de la Taïga. De quel territoire appartenez-vous ?

Egon ne portait pas l'odeur caractéristique des chevaux de la Taïga. C'était étrange comme un paysage, un environnement pouvait marquer les êtres qui y évoluaient. Everyone faisait maintenant preuve d'une certaine confiance et sérénité. Rien à voir avec l'étalon apeuré qu'il était, il y a de cela quelques minutes. Il dilata ses naseaux et les emplit des effluves de la clairière. Everyone trouvait la Taïga magnifique, et pour rien au monde il n'aurait désiré naître ailleurs. Enfin... Peut être que si dans son autre vie, il avait eu une réelle existence devant les autres... Mais cela aurait tout changé, et il ne serait pas celui qu'il est aujourd'hui.

Il aurait été surement plus fort, mieux dans son corps, plus sûr de lui.