Moonlight ♔

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Sous ses sabots, le sable ocre crissait doucement et de temps en temps se soulevait lorsqu'une foulée un peu plus forte se faisait sentir.

Elle glissait, présence fantomatique aux mille nuances de gris. Parfois, sa queue tressaillait ou ses prunelles couleur rubis cillaient, et mis-à-part le mouvement de ses pas, elle restait impassible. De nouveaux horizons se dévoilaient à elle, et aucune émotion n'était lisible sur son visage aux traits fins.

La lune pâle sublimait les reliefs du canyon, et ses filles les diamants éclairaient tout le reste. Elle bifurqua, laissant la plaine sableuse derrière elle afin de longer la crevasse. Elle se trouvait redoutablement proche de celle-ci, parfois son sabot dépassait dans le vide. La brise vint faire danser ses crins sur son encolure et sur son épaule.

d a n g e r

Et il était en bas.

Egon était retourné dans l'Erimos comme pour un pèlerinage.
L'endroit est marqué par de nombreux souvenirs.
La plupart sont de ceux qu'il aimerait oublier.

Cette nuit, il s'était arrêté au canyon.
Allongé contre la paroi rouge et refroidie par la nuit, il dormait.
Ce jusqu'à ce que quelques petits gravillons s'écrasèrent sournoisement sur son dos.

L'étalon se réveilla en sursaut et bondit sur ses jambes, prêt à en découdre.
Mais il n'y avait rien, pas un chat.
Hagard, il leva ses yeux clairs vers les hauteurs.

Et elle était là, sur une corniche, ne faisant pas plus de bruit qu'une souris.
Une jument grise, dangereusement près du bord.

Egon ronfla pour lui même, exaspéré.
Réveillé par une funambule accro à l'adrénaline...

* Quelle crétine !.. *

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Elle flirtait avec le vide, s'amusait du vent. Elle voulait déformer le monde, braver l'interdit, remporter l'impossible. Sa volonté ferait fléchir la vie. Ferait fléchir la mort.

Mue par un instinct sans doute ancestral et inconnu, elle baissa les yeux, juste à temps pour rencontrer le regard brillant et agacé d'une silhouette assombrie. Heartless lui lança un sourire goguenard et plein de malice. Sans marquer la moindre hésitation, elle redressa la tête afin de poursuivre sa marche toujours régulière.

Peut-être qu'elle allait se faire happer par la lune. Elle était pleine et si grosse dans le ciel qu'elle semblait réduire l'immensité de celui-ci. Elle pouvait l'effleurer des naseaux - enfin c'est ce qu'elle pensait. Peut-être attraperait-elle un rêve, ça faisait longtemps.

Les yeux bruns la suivaient.
Guettant le faux pas, l'erreur qui entrainerait la chute.
Egon n'osait plus bouger, plus respirer, s'attendant à tout moment à la voir basculer dans le vide.
Il s'interrogeait sur cette bêtise insouciante.

La seule personne qui agissait habituellement ainsi, c'était lui.
Mais lui, il savait qu'il ne courrait pas de vrai risque.
Avait elle, elle aussi, un atout dans sa manche ?
Egon l’espérait pour elle, qui ne daignait presque plus regarder où elle posait le sabot.

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Elle s'aperçut que la distance entre son perchoir et le sol se réduisait. Lentement, le canyon se raccourcissait, afin que ses deux lèvres s'embrassent. Si bien que la hauteur se faisait moins conséquente, et c'est peut-être pour cela qu'elle tomba.

Son sabot dérapa, elle crut un moment pouvoir se rattraper et pendant une seconde elle vacilla au dessus du vide, poupée de porcelaine qui pensait pouvoir changer le monde. Mais les lois de la physique sont les mêmes pour tout le monde - enfin presque - et son corps fut irrémédiablement attiré par le bas. Elle heurta plusieurs fois la paroi sableuse avant de s'échouer lamentablement sur le sol, recroquevillée sur elle même. Elle n'était plus qu'un pantin désarticulé et pourtant elle avait les yeux rivés sur la lune et elle souriait.

Elle ne fit presque aucun bruit.
Les yeux de l'étalon l'avait suivie, la regardant tomber, tomber.
Ça n'était pas trop haut mais bien assez.
Quand elle s'immobilisa enfin en bas, dans la poussière, Egon s'aperçut qu'il retenait son souffle depuis plusieurs secondes.

L'inspiration lui fit comme une décharge électrique.
Il coucha les oreilles grinça les dents et prit le trot.
Quelque part il ne pouvait s'empêcher d'imaginer, d'espérer,
que elle aussi était capable d'endurer ce genre de chute sans une égratignure.

Arrivé à sa hauteur, il pencha la tête.
Dans la nuit, dans l'ombre du canyon, il ne distinguait qu'une forme noire avachie.
Immobile.

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La douleur affluait par vagues et malgré le bourdonnement assourdissant qui prenait possession de ses oreilles, elle put entendre le son des foulées de l'Ombre auparavant aperçue. Un spectateur pour sa déchéance.

Elle se releva lentement. Une plaie barrait sa joue et sur son épaule gonflait déjà un sacré hématome. Puis elle voulut s'appuyer sur ses postérieurs et le droit céda. Elle boiterait quelques temps.
Elle s'ébroua, avant de soutenir honnêtement le regard de la présence face à elle. Il lui sembla qu'une question muette lui était posée, alors elle secoua vaguement la tête, comme un haussement d'épaule. « C'est parfois difficile de jouer avec l'espace. »
Elle se détourna.

Egon la regarda se lever, parcourant son corps meurtri avec des yeux réprobateurs.
Son postérieur avait l'air assez amoché, pas étonnant...
Elle avait l'air jeune, jeune et insouciante.
Il s’apprêtait donc à lui demander si elle avait besoin d'aide pour marcher, pour aller là où elle voudrait se reposer.
Mais elle ouvrit la bouche avant lui.

Sa phrase énigmatique, Egon se demanda si il l'avait bien entendue.
Un jeu ? Vraiment ?
L'étalon poussa un ronflement agacé et alors qu'elle se détournait, la voix grave lança :

« Je dirais plutôt que c'est l'espace qui joue avec toi. »

Son ton sonna plus dur que ce qu'il avait escompté.
Mais il n'ajouta rien, se contentant de fixer la sombre silhouette.