x. Et si rien n'avait changé ?

Et si rien n'avait changé ?

x. Elle. Rien qu'elle. De la boue jusqu'aux paturons. Dans son immobilité impressionante et majestueuse, son regard impénétrable fixiait l'horizon. Le jour se levait. Un soleil, encore rouge de sommeil, montrait paresseusement ses premiers rayons. Peut-être que c'était l'aube qui se levait sur sa vie. Les nuages étaient devenus d'une étrange couleur pourpre, comme un présage sanglant.

x. Et la sage jument observait un nouveau jour naître paisiblement, sans arrières-pensées, sans pensées, même. Elle se laissait totalement absorber par les volutes de couleur qui emplissaient petit à petit le ciel et repoussaient la nuit. Un vent vicieux et tourbillonnant faisait voleter les crins légers et ondulés de la jument de marbre.

x. A quoi pensait-elle en contemplant cette naissance ? A tellement de choses confuses qu'il lui semblait qu'elle ne pensait à rien. Enfin, à rien de particulier. Car dans son esprit, les visages de ses anciens amis se bousculaient et avec eux, le désir irrésistible de les revoir et de leur dire combien elle les aimait ...

x. Son oreille fine crut entendre un craquement, derrière elle. Pourtant, elle ne se retourna pas et ne fut même pas sur le qui-vive. Elle avait changé, ces dernières années. Plus calme, plus posée, plus fataliste, aussi. Elle avait décidé de prendre la vie comme elle serait et qu'elle n'irait plus chercher complications là où il n'y en a pas.

x. Ce craquement n'avait rien eu d'alarmant. C'était sans doute une biche
qui était venue, elle aussi, observer les magnifiques couleurs de l'aube.
Peut-être qu'à côté d'elle, se cachait ,derrière les jambes protectrices de
sa mère, un jeune faon qui était à l'école de la Vie.

x. Le froid de la boue glacée remontait doucement dans le corps pourtant
chaud d'Obscure. Ses quatres membres étaient engourdis jusqu'aux
genoux. Depuis combien de temps était-elle là ? Des heures ...

x. Indéniablement, le soleil allait gagner sur la nuit, la lumière sur l'ombre. Et
bientôt, la Terre des Misères sera baignée d'un éclat chaud et orangé qui
réchaufferait la boue et le corps massif de la jument de nuit.

x. La grosse boule, encore rouge, quitta la ligne d'horizon et sa lumière
irradia bientôt toute la Terre des Misères. Obscure ferma les yeux et
acceuillit presque avec bonheur la lumière aveuglante, pourtant symbole de
la Vie, sur son corps gelé.

x. La Vie, la Mort .. A quoi servait ces clans, à présent ? Pour la jument, ils
n'avaient plus aucun sens. Elle ne ressentait plus de haine envers les
étalons gentils et protecteurs et les juments douces et fragiles de la Vie.
Pas plus qu'elle n'appréciait les chevaux brutaux et morbides de son
soi-disant clan.

x. Obscure réouvrit les yeux mais dû cligner plusieurs fois des paupières
pour habituer ses prunelles à la violente lumière. Elle tira ses membres de la
boue avec un "smack ! " sonore et rejoignit les bords secs de la Terre des
Misères bruyamment, à cause des bruits de succion qu'elle produisait à
chaque pas.

x. Lorsqu'elle fut sur la terre ferme, elle se retourna et observa l'endroit qui
s'étendait devant elle, triste, aux froides couleurs de la Mort ...

Le craquement avait bien appartenu à quelqu'un. Seulement, ce dernier n'avait aucunement voulu se montrer sachant qu'il y avait un autre cheval. Non de peur de déranger, simplement pour rester en retrait. Il aurait voulu être seul mais apparemment l'autre présence persistait sur les Terres des Misères, à son grand regret.

Dans l'ombre des arbres il avança calmement avant que sa silhouette n'apparaisse. La tête relevée, il parcourut de son regard l'endroit afin de trouver la jument qui était là. Bien qu'il avait détecté la présence d'une jument, il n'avait pu mettre un nom dessus. Cependant, lorsqu'il découvrit de qui il s'agissait, il se maudit de ne pas avoir pu le faire. Obscure.

Il se souvint du jour où après avoir lancé un appel, il avait vu la jument galopait vers lui. Un mince sourire s'afficha avant qu'il ne se rapproche d'elle tout en gardant tout de même une bonne distance entre la jument noire et lui.

Toujours en gardant le silence, il la détailla longuement constatant qu'elle avait pas mal changé physiquement. Il constata qu'elle avait gagné en muscles bien qu'elle n'était pas vraiment frêle lorsqu'il l'avait connu. Il remarqua également qu'elle avait quelque peu grandi et ses formes s'étaient affermies.

" Bonsoir Obscure "

x. En entendant son nom, Obscure se retourna. Elle vit El Diablo sortant de
l'ombre humide des sapins. La jument l'acceuillit avec un sourire chaleureux
et inclina la tête pour le saluer. El Diablo ... Le premier qu'elle ait
rencontré. Celui qui l'avait menée jusqu'ici. Celui qui l'avait pris sous son
aile. Elle regarda le grand étalon bai s'avancer. Il avait l'air d'être toujours
le même ... en apparence. Obscure ne savait trop bien que celles-ci
étaient trompeuses.

" Bonjour serait plus logique, El' . "

x. Elle jeta un dernier coup d'oeil au soleil et à sa douce onde de lumière et
de chaleur puis s'approcha de El Diablo. En gardant une certaine distance,
tout comme lui. Ils n'avaient pas gardé les poulains ensemble et une
proximité trop forte l'aurait gênée. Elle se mit à marcher, tournant le dos à
la Terre des Misères, d'un pas majestueux et léger, comme si elle exécutait
une pirouette de Haute Ecole avec grâce. Elle espérait qu'elle n'aurait plus
jamais à se receuillir devant cet endroit. Elle l'avait trop fait auparavant.

" Comment vas-tu, mon ami ? "

x. Question affreusement banale mais presque indispensable si on veut avoir
une quelconque vie sociale. Elle regarda l'étalon bai, le Dominant de la
Mort. Après être restée si longtemps immobile, ses membres étaient pleins
de fourmillements. Elle se retint de galoper pour faire circuler le sang
normalement mais n'allait pas traîner à proposer une course effrenée à son
compagnon.

Les oreilles de L'étalon s'agitèrent à l'entente de sa voix. Cela faisait si longtemps qu'il ne l'avait entendu. L'entendre à nouveau lui procurait une drôle de sensation comme ci il découvrait la jument, comme ci il faisait à cet instant même sa connaissance. L'étalon regarda un nouvelle fois l'endroit où ils étaient avant de constater qu'il avait émit une erreur. Un faible sourire s'afficha sur ses lèvres avant qu'il ne dise:

" En effet. Je crois que j'étais un peu trop perdu dans mes pensées pour m'en rendre compte. "

L'étalon bai s'ébroua lentement avant de faire quelques pas vers elle. Il s'approcha ainsi d'un vieil arbre auquel il s'adossa un instant avant de se redresser complètement. Il n'avait pendant ce temps, enlevé son regard d'Obscure se demandant en réalité qui elle pouvait être. Diablo se rendait peu à peu compte que la jument lui était si inconnue. Hormis son nom et quelques détails, il ne savait absolument rien d'elle et étant Dominant, il s'en voulait énormément.

Reprenant un peu sa respiration, il haussa les épaules avant de répondre à la question de la jument.

" Je crois que j'ai connu des jours bien meilleurs, m'enfin. Et toi? Comment vas-tu ? "

Cela aurait été impoli de ne pas lui avoir retourner la question. El était certes un étalon sauvage, sa mère lui avait appris certains codes malgré qu'il ne les a pas toujours appliqué. Néanmoins, il allait se reprendre en main. Durant ces longs mois d'absence on lui avait appris à être davantage respectueux. Il allait appliquer ce qu'on lui avait enseigné.

L'étalon bai secoua sa tête avant de se maudire pour avoir été perdu encore une fois dans ses idées alors qu'il voulait être présent pour connaitre un peu plus la jument qui était en face de lui. Rapidement, il chercha un sujet de conversation. Quand enfin il trouva quelque chose de convenable, il déclara

" Qu'es-tu devenue durant ces longs mois ? Es-tu partie ? Es-tu retournée Les revoir ? "

Les? Les humains ...

x. Obscure commença à piaffer, pour faire passer cette étrange et horrible
impression de fourmillement qui lui traversait les membres, jusqu'aux
genoux. Elle non plus ne connaissait pas tellement El Diablo. Il avait eu
d'autres choses à faire que de consoler les pleurnicheries pathétiques d'une
jeune jument en mal d'amour.

x. Elle arrêta ses piaffers, n'ayant plus de fourmis dans ses jambes robustes
puis regarda El Diablo. Il avait connu des jours meilleurs ? Mais ... N'était-il
pas content de retrouver ses terres ? Ses amis ? Et même ses ennemis ?

x. Obscure n'osa pas poser de questions, ayant peur qu'elles soient trop
indiscrètes. Elle était triste pour lui qu'il ne soit pas aussi heureux
qu'autrefois ...

x. Il lui retourna la question, poliment. Lui demanda ce qu'elle était
devenue. Si elle était partie. Si elle Les avaient revus. Obscure baissa la
tête quelques instants, puis la releva.

" Oui, je les ais revus. Et ils m'inspirent encore plus de haine qu'avant. En
définitive, ce sont tous les mêmes. "

x. Obscure serra imperceptiblement les dents. La colère commençait à
gonfler dans ses veines. Elle soupira, tenta de se calmer.

" C'est une longue histoire et je n'ai pas assez de courage pour te la conter
maintenant. "

" Et puis, ce serait dommage de gâcher des retrouvailles ainsi.
Je suis sûre que tu ne bats plus de beaucoup. "

x. Sur ce, elle lui adressa un sourire accompagné d'un clin d'oeil puis
s'élança au grand galop. Elle se retourna quelques instants pour voir si El
Diablo acceptait sa proposition de course. Elle était bien consciente qu'elle
allait une fois de plus se faire battre à plate couture, mais elle n'en avait
plus rien à faire, à présent.

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